Faire le récit de sa vie : un soin d’un nouveau genre

Valéria Milewski est une pionnière de la biographie hospitalière. Elle propose à des patients gravement malades de se raconter dans un livre qu’ils laisseront à leurs proches. Cette démarche les aide à mieux appréhender leur fin de vie, comme le montrent des travaux de recherche.

Portrait Valéria Milewski

Après des études de lettres Valéria Milewski accumule les expériences professionnelles dans les secteurs de l’évènementiel, du théâtre et des musées. Elle aime rencontrer des gens, écouter des histoires ordinaires et, avant tout, écrire. Une idée originale germe un jour dans son esprit : proposer à des personnes en situation palliative de faire le livre de leur vie. Cette idée ne la quitte plus, mais, avant de se lancer, elle décide de la mettre à l’épreuve. Tout d’abord, elle la fait valider par un psychologue, pour s’assurer de l’innocuité de sa démarche. Puis elle devient bénévole d’accompagnement dans un service de soins palliatifs. Enfin, pour se confronter à l’exercice d’écriture, elle monte sa propre entreprise et réalise plusieurs biographies privées ou familiales. Elle réunit chacune de ces conditions préalables sans rencontrer d’écueil. C’est la rencontre, en 2007, avec un médecin de soin palliatifs, qui lui donne l’occasion de mettre son idée en pratique au sein du service d’onco-hématologie de l’hôpital de Chartres. Là, elle élabore sa méthode en concertation avec l’équipe soignante. C’est le début d’une collaboration qui se poursuit encore aujourd’hui.

Transcrire la mélodie de l’autre

Certains patients de ce service se voient proposer la possibilité de raconter leur vie dans un livre de très belle facture, lequel sera confié aux proches de leur choix. La démarche est confidentielle, gratuite, et ils peuvent l’interrompre à tout moment. S’ils se montrent intéressés, Valéria Milewski les rencontre pour une série d’entretiens. Le processus n’est absolument pas mortifère, puisque la maladie est très peu évoquée dans le contenu. Au contraire, cela permet, en quelque sorte, d’être gravement malade tout en ayant la vie devant soi, suggère-t-elle. Lors de la rédaction, elle utilise leurs mots, leurs tournures, leurs expressions, redonnant simplement au texte une ossature pour qu’il gagne en lisibilité. C’est un travail de traducteur, au plus près de la mélodie de l’autre. Et le procédé fonctionne puisque les proches, quand ils découvrent le livre déclarent : quand je le lis, il (ou elle) est là !.

Une démarche validée par la recherche

La démarche a visiblement des effets bénéfiques. Pour objectiver ces résultats positifs, la biographe et l’équipe hospitalière se lancent dans un travail de recherche. Entre 2013 et 2017, ils mènent au CHU de Chartes une étude qualitative auprès des patients, de leurs proches et des soignants1. Les résultats de l’enquête montrent que pour les personnes en fin de vie, le procédé est clairement thérapeutique.  Elles se sentent plus apaisées, ressentent moins de douleurs, disent « tenir bon pour terminer », transmettre « leur vérité ». Pour moi, la biographie hospitalière c’est comme un massage, un massage du cœur et de la conscience, témoigne un patient. L’important, c’est le processus, souligne Valéria Milewski, en donnant l’exemple de ce monsieur, décédé juste avant d’entamer sa biographie, mais content de s’être engagé dans cette démarche.

Pour les proches, recevoir ce livre va bien au-delà de la transmission de la mémoire familiale. Comme, à l’approche de la mort, « même les taiseux parlent », les familles découvrent des moments de vie qu’elles ne connaissaient pas, ou, à l’inverse, sont parfois déçues de ne pas voir lever certains secrets. Il y a aussi des incidences inattendues, comme chez cet adolescent qui, découvrant dans ce livre l’estime et la confiance que lui portait son grand-père, sort de sa situation d’échec scolaire. Quoiqu’il en soit, ce support est une aide dans le travail de deuil.
Pour les équipes paramédicales enfin, il s’agit d’un soin « de support », tandis que les équipes médicales le considèrent comme un soin de nature « spirituel ». La démarche a aussi des effets bénéfiques sur ces équipes en ce sens qu’elle leur permet de maintenir une cohésion, de rester dans la continuité des soins et, au final, dans une certaine éthique de médecine humaniste.

"Carebiographie"

Valéria Milewski prend goût à la recherche et entame une thèse de praticienne chercheuse2 sur ce sujet. Celui-ci pourrait aussi bien relever de l’anthropologie, de la psychologie ou de la philosophie, mais il s’inscrit finalement en sciences du langage. Cette thèse, qui positionne la « carebiographie », nouveau genre littéraire, comme un soin d’un nouveau genre, est soutenue en décembre 2020. Je recommande vraiment à quiconque de faire l’expérience de la recherche pluridisciplinaire, c’est d’une grande richesse et on gagne en légitimité, souligne-t-elle.

Pionnière convaincue et passionnée, Valéria Milewski a fait essaimer son idée en créant une association d'intérêt général et en formant d’autres biographes. Ces « passeurs », comme ils se dénomment eux-mêmes, sont désormais présents dans 18 hôpitaux un peu partout en France. Un diplôme inter-universitaire (DIU) devrait voir le jour et des plaidoyers sont en cours pour aller vers la reconnaissance d'un nouveau métier et, surtout, d'un nouveau soin.

  1. Intitulé de cette recherche : Quelles sont les incidences et les spécificités de la biographie hospitalière auprès de 3 corpus : les biographés, les proches et les soignants en onco-hématologie à Chartres.
  2. Intitulé de la thèse : Tenir parole et rendre parole, le genre de la biographie hospitalière ou de la « carebiographie ».

Contact :
Valéria Milewski
contact@passeur-de-mots.fr
https://passeur-de-mots.fr/

Publié le 11 mai 2021
Auteure : Delphine Gosset

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