Journée scientifique francophone internationale 2026
Cet événement gratuit s’adresse autant aux professionnels qu'aux chercheurs, étudiants et toute autre personne intéressée par les soins palliatifs et la fin de vie.
La complexité de la souffrance en soins palliatifs et de fin de vie
Alors que les soins palliatifs et de fin de vie (SPFV) sont traversés par de profondes évolutions médicales, sociales et éthiques, la souffrance demeure un enjeu central, mais encore insuffisamment exploré dans toute sa complexité. Longtemps centrée sur la douleur physique, le terme souffrance s’ouvre progressivement à une compréhension élargie : psychologique, sociale, morale, spirituelle et existentielle, culturelle, anticipée, en lien avec les trajectoires de maladie ou de fin de vie et les réalités vécues des personnes, de leurs proches et des personnes soignantes. Les études et les débats autour des soins palliatifs et de l’aide à mourir (aide médicale à mourir au Québec) ont permis de mettre à jour l’importance et la spécificité de la souffrance en situation de SPFV.
Dans ce contexte, la recherche a un rôle fondamental à jouer : non seulement pour produire des connaissances, mais aussi pour interroger ses propres méthodes, ses angles morts, et les formes de collaboration qu’elle instaure. Cette journée scientifique vise à favoriser les croisements disciplinaires, à mettre en dialogue chercheur∙ses, praticien·nes, personnes soignantes, personnes soignées et proches, et à valoriser des approches sensibles, situées, collaboratives.
PROGRAMME
| Heure au Québec | Heure française | Titre | Orateur.ice |
| 8h-8h20 | 14h-14h20 | Mot de bienvenue et présentation | Codirecteurs du RQSPAL et coprésidents de la Plateforme |
| 8h20-9h | 14h20-15h | Souffrance et confort en fin de vie : enjeux éthiques et usages de l'évaluation neurophysiologique | Chloé PROD'HOMME |
| 9h-9h40 | 15h-15h40 | Fin de vie conflictuelles en CHSLD : souffrances et moralités soignantes divergentes | Alizée LAJEUNESSE |
| 9h40-10h20 | 15h40-16h20 | Quand la souffrance passe sous le radar : évaluer la détection de la détresse psychologique et des besoins en oncologie | Sébastien SIMARD |
| 10h20-10h35 | 16h20-16h35 | Pause détente | |
| 10h35-11h15 | 16h35-17h15 | Explorer le concept de couleur totale dans les soins palliatifs oncologiques contemporains : une étude qualitative sur les ressources des patients | Maya CORMAN |
| 11h15-11h55 | 17h15-17h55 | Étude qualitative des refus d'aide médicale à mourir : entre souffrances, désespoir et espoir | Alexandra BEAUDIN |
| 11h55-12h | 17h55-18h | Mot de clôture | Codirecteurs du RQSPAL et coprésidents de la Plateforme |
Souffrance et confort en fin de vie : enjeux éthiques et usages de l’évaluation neurophysiologique
Chloé PROD'HOMME
METRICS ULR 2694, Université de Lille
La souffrance peut être invisibilisée lorsque la personne n’est plus capable de l’exprimer, du fait d’une défaillance neurologique, de la phase ultime ou d’une pratique sédative. Alors, l’évaluation en est réduite à l’impression subjective de confort – concept ambigu et variable – des professionnels de santé ou des proches.
Nous faisons l’hypothèse qu’ajouter le monitoring du système nerveux parasympathique peut améliorer l’évaluation du confort des personnes non communicantes en soins palliatifs (SP). L’Analgesia Nociception Index (ANI) mesure l’activité parasympathique par le biais de la variabilité de la fréquence cardiaque. Cet indice diminue lors d’un stress ou d’une douleur aiguë.
Le « confort physiologique » peut-il avoir du sens à proximité du mourir ? Cette présentation explorera la pertinence et les usages de l’ANI en SP, à travers les résultats d’une étude mixte.
Une phase prospective et observationnelle compare la mesure de l’ANI avec l’échelle d’observation comportementale de la douleur CPOT (Critical-Care Observation Tool) réalisée par des infirmières en aveugle avant, pendant et après un soin douloureux chez 20 patients hospitalisés en SP. L’ANI est efficace pour détecter la douleur procédurale. Puis, 28 entretiens de professionnels et de proches de patients surveillés par l’ANI en pratique courante ont été analysés par une analyse réflexive thématique. Deux types d’usage sont retrouvés : l’un médical pour mieux évaluer l’inconfort, l’autre « relationnel », invisible des soignants, où la variation de l’ANI lors de la parole ou du toucher par les proches offre une reconnaissance précieuse de leur accompagnement.
Enfin, des séances d’éthique clinique réunissant chercheurs, proches et professionnels de SP ayant une expérience ou non dans l’utilisation de l’ANI ont fusionné ces résultats, abouti à des perspectives de recherche pour le déploiement de l’outil en SP et proposé des pistes pour un nouveau design plus adapté à ces contextes.
Fins de vie conflictuelles en CHSLD : souffrances et moralités soignantes divergentes
Alizée LAJEUNESSE
Département d’anthropologie, Université de Montréal
Cette étude s’est penchée sur la souffrance anthropologique de membres du personnel, résidents et familles en centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) au Québec. Dans ces milieux, les acteurs sont continuellement confrontés à des situations éthiques complexes de fin de vie qui divisent.
Cette présentation vise à approfondir la compréhension de la diversité des expériences de l’une des formes de cette souffrance anthropologique quotidienne, telle que racontée par les soignants : la souffrance morale vécue dans l’espace liminal entre le vivre et le mourir.
Une ethnographie de longue durée ayant combiné de l’observation participante sur neuf unités de soins, et des entretiens avec 34 acteurs en CHSLD de 2024 à 2025 a montré que cette souffrance était intimement liée à des enjeux relationnels et organisationnels vécus par les collaborateurs.
Les données de cette recherche montrent que lorsque les moralités divergentes mobilisées pour négocier les dilemmes éthiques se heurtent, elles vont jusqu’à fragmenter les équipes qui sont alors prises dans des mondes moraux conflictuels entre les trajectoires de soins palliatifs et de longue durée. Une vignette ethnographique illustrera spécifiquement une zone grise de l’aide médicale à mourir rencontrée en CHSLD, où valeurs et décisions se sont entrechoquées pour les soignants aux divers rôles professionnels et contextes socio-culturels.
Dans ce cadre fortement chargé, émotionnellement et identitairement, les soignants tendent à s’appuyer sur des définitions plurielles de la souffrance perçue d’autrui, de la dignité, du devoir de prendre soin, mais aussi de ce qui constitue un bon soin, ainsi qu’une bonne ou mauvaise vie et mort. La souffrance morale vécue s’inscrit alors dans un espace d’ambiguïté, de polysémie et de sophismes de soin, un espace d’entre-deux polarisant où l’on souffre la souffrance de l’autre, où la souffrance perçue d’autrui peut devenir une souffrance pour soi.
Chloé PROD'HOMME est maîtresse de conférences des universités, praticienne hospitalière en médecine palliative à Lille. Ses recherches doctorales portent principalement sur l’évaluation des souffrances invisibles, à travers le concept de « confort parasympathique » en fin de vie. Elle questionne l’usage des dispositifs électrophysiologiques en unité de soins palliatifs et leur répercussion sur l’accompagnement des proches et des aidants familiaux. Ses méthodologies sont principalement qualitatives et mixtes.
Anthropologue médicale et doctorante au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, Alizée LAJEUNESSE mène des recherches sur des aspects socioculturels et éthiques du soin de longue durée et palliatif. Elle conduit une ethnographie québécoise de centres d’hébergement et de soins de longue durée et maisons des aînés sur les expériences vécues de soignants, résidents et proches aidants. Ses travaux portent sur les enjeux organisationnels, relationnels et moraux façonnant les dynamiques, pratiques et dilemmes entre la vie et la fin de vie. Elle est également professionnelle de recherche appliquée sur le vieillissement à la Faculté des sciences infirmières et au Centre de recherche du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, et enseigne ponctuellement au département d’anthropologie.
Quand la souffrance passe sous le radar : évaluer la détection de la détresse psychologie et des besoins en oncologie
Sébastien SIMARD
Équipe de recherche en psychologie de la santé, Université du Québec à Chicoutimi (UQAC)
Au Canada, la détresse psychologique est reconnue comme le 6ᵉ signe vital en oncologie, devant être systématiquement évaluée tout au long de la trajectoire de soins. Dans cette optique, l’Outil de Détection de la Détresse (ODD) a été progressivement intégré à la pratique clinique. Cependant, peu d’études ont évalué la qualité de son implantation et de son utilisation.
Les objectifs de cette étude étaient :
1) Évaluer et documenter l’utilisation de l’ODD dans un centre hospitalier régional au Québec
2) Explorer les perceptions des patients et des professionnels en oncologie concernant son usage.
Une étude mixte a été menée. Tous les dossiers de patients ayant reçu de la radiothérapie entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2021 (N=4517) ont été consultés pour vérifier la présence d’un ODD, extraire les données disponibles et documenter la prise en charge. Des entretiens individuels ont été réalisés avec des patients (n=8), des infirmières pivots (n=8) et des technologues en radiothérapie (n=7) pour explorer leurs perceptions sur la détresse psychologique, la procédure de détection ainsi que les avantages et inconvénients de la détection de la détresse.
Environ 45 % des patients n’ont pas complété l’ODD. Parmi eux, 64,7 % ont été jugés non éligibles par les professionnels, et 35,3 % ont refusé de le remplir. De plus, 21,5 % des ODD complétés l’étaient partiellement ou incorrectement. Contrairement aux recommandations, la prise en charge de la détresse reposait principalement sur la déclaration d’un besoin d’aide. Les entretiens ont confirmé l’importance accordée à la souffrance et révélé plusieurs lacunes dans la détection : consignes floues, manque de formation et de soutien, ainsi qu’un suivi insuffisant.
Cette étude souligne la nécessité d’évaluer de manière continue les pratiques cliniques pour améliorer l’identification de la souffrance psychologique et soutenir les professionnels en oncologie.
Explorer le concept de douleur totale dans les soins palliatifs oncologiques contemporains : une étude qualitative sur les ressources des patients
Maya CORMAN
LAPSCO, Université Clermont Auvergne
Selon le concept de douleur totale proposé par Cicely Saunders (1967), la prise en charge de la douleur chez les patients nécessitant des soins palliatifs nécessite de prendre en compte sa nature multidimensionnelle, englobant les aspects physiques, sociaux, psychologiques et spirituels. L’objectif de cette étude était d’actualiser le concept de douleur totale et d’explorer les ressources utilisées par les patients atteints de cancer.
Quatorze entretiens semi-directifs ont été menés dans un centre d’oncologie et un centre de réadaptation oncologique (âge médian = 70,5 ans, 55-77 ans ; 8 femmes). Le guide d’entretien a exploré différentes dimensions de la souffrance, notamment physique (par exemple, la douleur), sociale (par exemple, l’isolement), psychologique (par exemple, l’état émotionnel) et spirituelle (par exemple, le rôle de la spiritualité dans l’expérience de la maladie), ainsi que les liens avec la nature et les ressources internes et externes des patients associées à chaque sphère de souffrance. L’approche phénoménologique interprétative (API) a été utilisée pour analyser les entretiens.
Les résultats mettent en évidence plusieurs aspects importants de la souffrance : l’imprévisibilité de la douleur (sphère physique), la perte des rôles sociaux (sphère sociale), les affects négatifs (sphère psychologique), l’évocation de la fin de vie (sphère spirituelle) et la perte de contact avec la nature. Outre les ressources, l’étude identifie plusieurs mécanismes d’adaptation clés, tels que les pratiques psychocorporelles pour soulager la douleur physique et psychologique, la distraction liée à l’environnement, la nature comme source d’émotions positives et la quête de sens.
Malgré une douleur totale, certains patients utilisent des ressources protectrices internes et externes face à une maladie potentiellement mortelle. Ces résultats soulignent l’importance d’envisager la douleur totale sous son aspect multidimensionnel et comme un processus dynamique impliquant le lien de l’individu avec sa communauté et son environnement.
Sébastien SIMARD, M.Ps., Ph.D est psychologue clinicien et professeur agrégé au département des sciences de la santé de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) au Québec, Canada. Spécialisé en psychologie de la santé et en intervention cognitive-comportementale, il œuvre depuis plus de 20 ans auprès de personnes vivant avec une maladie chronique, comme le cancer, en contexte de soins palliatifs et de fin de vie. Engagé à promouvoir une approche humaine et interdisciplinaire, il s’intéresse particulièrement à la peur de la récidive/progression de la maladie, à la détresse psychologique et aux interventions favorisant l’adaptation à la maladie. Ses travaux de recherche ont fait l’objet de plusieurs publications et contribué à l’essor de la discipline de l’oncologie psychosociale. Il est chercheur au Centre intersectoriel en santé durable (UQAC), au Centre de recherche et d’innovation Saguenay–Lac-St-Jean et membre du Réseau québécois de recherche en soins palliatifs et de fin de vie (RQSPAL).
Maya CORMAN est docteure en psychologie de la santé et psychologue. Elle a principalement exercé en milieu hospitalier et a enseigné différents champs de la psychologie à des étudiants en psychologie, orthophonie, orthoptie, ergothérapie au sein de l‘Université Clermont Auvergne (UCA). Elle exerce actuellement en tant que psychologue indépendante en partenariat avec l’association EIPAS qui intervient auprès de personnes en souffrance au travail en proposant des accompagnements, des analyses de pratiques professionnelles, des groupes de parole et des formations, notamment autour du trauma vicariant et du cancer dans le monde du travail. Ses intérêts de recherche portent sur le bien-être et les facteurs de résilience en situation de stress (maladie chronique par exemple). Elle mène actuellement des recherches autour des soins palliatifs et de la fin de vie en y intégrant une dimension interculturelle. Sa pratique des techniques psycho-corporelles et artistiques (méditation de pleine conscience, arts martiaux, danse, musique) lui permettent de mûrir des projets de « recherche-action » pour améliorer l’accompagnement des personnes/groupes en situation de souffrance mentale et/ou physique.
Étude qualitative des refus d’aide médicale à mourir : entre souffrances, désespoir et espoir
Étude qualitative des refus d’aide médicale à mourir : entre souffrances, désespoir et espoir
Alexandra BEAUDIN
École interdisciplinaire des sciences de la santé, Université d’Ottawa
L’aide médicale à mourir (AMM) occupe une place croissante dans les trajectoires de fin de vie au Québec. Or, certaines demandes sont refusées, ce qui peut exacerber les souffrances lorsqu’aucun accompagnement structuré n’est prévu, laissant patients et professionnels dans une situation de vulnérabilité. Cette étude vise à comprendre l’évolution des souffrances entourant un refus d’AMM. Elle compare les souffrances ressenties avant et après la demande, tout en intégrant la perspective de professionnels compétents sur ces situations.
Une étude qualitative descriptive interprétative a été réalisée à partir de 20 entretiens semi-dirigés : huit auprès de personnes ayant vécu un refus d’AMM et douze auprès de professionnels compétents ayant été impliqués dans une telle situation. Les données ont été analysées inductivement dans une perspective d’éthique relationnelle. Les souffrances ressenties avant la demande d’AMM étaient déjà multidimensionnelles, mêlant désespoir, fatigue de vivre, idées suicidaires, douleurs chroniques, pertes fonctionnelles ou sensorielles, isolement et sentiment d’injustice. Après le refus, ces souffrances se sont intensifiées, marquées par la perte d’espoir, la rupture de confiance envers le système, un vécu de déshumanisation et parfois des gestes désespérés. Pour les professionnels compétents, le refus constituait également une source de souffrance associée à la crainte de causer un préjudice, au poids moral d’annoncer un refus et à la difficulté de concilier critères légaux stricts et reconnaissance des souffrances. Le refus d’AMM ne suspend pas les souffrances, mais les transforme en désespoir, rupture relationnelle et sentiment d’abandon.
L’intégration du point de vue des professionnels compétents révèle que ces souffrances sont partagées, bien que vécues différemment. Ces personnes voient leur dignité compromise, tandis que les professionnels compétents craignent de leur nuire en respectant la loi. Ces constats appellent à repenser l’accompagnement post-refus en développant des pratiques sensibles, des ressources psychosociales et des espaces de dialogue interprofessionnels.
Titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise en psychologie, Alexandra BEAUDIN est doctorante en santé des populations à l’Université d’Ottawa, sous la supervision de la professeure Isabelle MARCOUX. Elle est également coordonnatrice de recherche au sein du consortium interdisciplinaire de recherche sur l'aide médicale à mourir (CIRAMM). Son projet de doctorat porte sur les demandes d’aide médicale à mourir refusées, un terrain où les souffrances occupent une place centrale. Son parcours est guidé par la volonté de mieux comprendre et reconnaître ces souffrances afin de contribuer à des pratiques de soins plus humaines et sensibles.